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Urgences pénales

20MINUTES – Justice : Le « plaider-coupable », un gain de temps pour vider des tribunaux engorgés ?

LENTEUR Utilisée en première instance depuis des années, la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité débarque dans les cours d’appel pour « vider les stocks »

Par Camille Allain, publié le 01/02/2023

Elle est sans cesse critiquée pour sa lenteur. Comme un escargot qui voudrait se débarrasser de sa coquille pour avancer plus vite, la justice française tente désespérément de vider ses armoires remplies de dossiers plus ou moins complexes. Le problème, c’est qu’elle manque cruellement d’effectifs pour effectuer ses missions. La tête sous l’eau, ses personnels font ce qu’ils peuvent pour rendre des décisions « justes » dans des délais que l’on va qualifier de « convenables ». Pour tenter de gagner en efficacité, la Chancellerie s’était inspirée du modèle de « plaider-coupable » en vigueur aux Etats-Unis pour lancer la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ou CRPC. Proposée depuis 2004 en première instance, la procédure censée être « accélérée » est désormais ouverte aux cours d’appel.

A Rennes, la première audience de CRPC en appel s’est tenue discrètement le 18 janvier sous l’œil attentif de Maxime Tessier. L’avocat rennais sera à jamais le premier à avoir expérimenté la procédure devant la cour d’appel de Rennes, compétente pour les cinq départements de la Bretagne historique. « Mon client avait été condamné à une peine de prison avec sursis pour un non-paiement de pension alimentaire. Il avait fait appel et payé toutes les pensions. Il reconnaissait les faits mais depuis, il attendait. » Cinq ans plus tard, l’homme a été le premier à expérimenter la CRPC en appel. « On a bouclé le dossier en trente minutes. Mon client a gagné du temps, le juge aussi, moi aussi et le greffe aura moins de travail. Tout le monde en sort gagnant », estime l’avocat, auteur de La défense en CRPC publié en 2020. 

« On ne va pas faire des dizaines de CRPC d’un coup mais on espère quand même des gains significatifs en matière de rapidité. Pour nous, c’est un bon moyen d’évacuer de vieux dossiers », estime le [procureur général près] la cour d’appel Frédéric Benet-Chambellan. Cet enthousiasme, nous avons voulu confronter à la réalité, en nous rendant au tribunal correctionnel pour une journée de « plaider-coupable » en première instance. Un excellent moyen de constater que la CRPC est bien loin de régler tous les maux de l’escargot.

Image immonde et informatique qui ne marche pas

Précisons d’abord le fonctionnement de la procédure. Quand un prévenu reconnaît son infraction, le procureur peut choisir de l’orienter vers une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. L’audience arrive alors très vite. Le procureur va d’abord proposer une peine lors d’une négociation à huis clos avec le mis en cause et son avocat. Puis ce sera à un juge d’homologuer la peine dans la foulée, lors d’une audience qui ne dure qu’une dizaine de minutes. Ce vendredi, une vingtaine d’audiences sont prévues. Mais dès la deuxième, la machine se grippe. Confronté à un problème informatique, le greffier ne peut activer les logiciels validant la peine. La magistrate qui siège, déjà pas fan de la CRPC, doit faire la causette avec un détenu en visioconférence. L’image est immonde et on distingue à peine le détenu, qui doit absolument signer un document avant de pouvoir disposer. Au final, il faudra plus d’une heure quinze pour juger un dossier qui n’aurait dû prendre que dix minutes ! « Nous sommes censés faire passer plus de prévenus sur une matinée mais nous perdons un temps fou parce que l’informatique ne marche pas », déplore le greffier.

A ses côtés, la juge ne décolère pas. « Pour moi, c’est au moins deux jours de travail : une journée à préparer, une journée à siéger. Et autant de temps que je ne passe pas sur mes dossiers. On n’a pas de moyens, les logiciels ne marchent jamais donc on perd notre temps. C’est du bricolage. On répare la justice à coups de sparadrap qui ne colle pas », regrette la juge. Un prévenu s’agace d’être là depuis trois heures sans avoir pu être jugé, les interprètes s’impatientent. L’autre problème de la CRPC, c’est qu’elle peut aussi prendre des années, si un renvoi est demandé. « La peine n’a alors plus aucun sens pour personne », tacle la juge.

Un côté « plus doux » pour les prévenus

A l’extérieur de la salle d’audience, les avocats ne sont pas plus emballés. Avec ce gros pépin informatique, eux aussi doivent poireauter. Pas d’autre choix, car en CRPC, leur présence est obligatoire. L’avantage ? Ils peuvent négocier avec le procureur. « Ça nous prend du temps alors que la procédure est censée être rapide. Mais j’y vois beaucoup d’aspects positifs », assure Me Célina Dolivet. L’avocate rennaise évoque un côté « plus doux » pour les prévenus. « La CRPC est souvent proposée à des personnes que la justice n’est pas susceptible de revoir, des gens qui reconnaissent leurs actes et qui ne devraient pas récidiver. » En passant dans un bureau fermé puis devant un juge qui n’a qu’à valider, les justiciables sont en général moins impressionnés. « Il n’y a pas la même solennité. » Sa consœur Me Alice Poitevin partage le constat. « La CRPC est comme une faveur pour des personnes qui n’ont pas trop de casier. Il y a un côté moins intimidant, c’est comme un contrat passé avec la justice. »

Cette négociation avec le procureur est aussi l’occasion d’une discussion plus apaisée entre le prévenu et le magistrat. « C’est une véritable opportunité de travailler la peine, de discuter. Pour certains justiciables, c’est aussi un moyen que ça s’arrête tout de suite. La justice ne doit pas être expéditive. Mais si tout le monde pense que la décision est juste, pourquoi ne pas l’adopter ? », interroge Me Maxime Tessier. Pour l’heure, le nombre de procédures en appel reste très faible. Mais les cours pourraient rapidement s’en emparer pour solder de vieux dossiers. A Rennes, il existe encore des dossiers jugés en 2017 qui n’ont toujours pas été réexaminés en appel.